Passagère Myriam Tahani – Chapitre 2
-C’est magnifique, je n’ai jamais rien vu de tel.
De grandes volutes bleues oscillent comme les deux bras sensuels d’une danseuse sur toile de fond constellée. Un ballet éternel à l’échelle d’une vie, rythmant un système désespérément vide où aucune trace de vie ne résistera jamais. Une beauté cachée réservée aux voyageurs de passage.
-De l’énergie pure, si nous surfons dans l’un de ces bras nous pourrions surcharger le vaisseau et atteindre près de 200 années lumière de portée de saut.
Comme une enfant, elle sautille :
-Faisons-le ! S’il vous plait, faisons -le !
-Je doute que ce soit une bonne idée, nos invités, là-dessous, risquent de ne pas apprécier les turbulences, sans parler du risque pour le vaisseau et vos vies.
D’un geste elle se détourne.
-C’est bien ce que je pensais, vous n’êtes ni drôle ni de plaisante compagnie.
-Vesta est du même avis que vous.
-Votre femme ?
-Mon IA
-Ah…je vois…évidemment…
Avant d’entendre la pique suivante j’enclenche prestement le moteur FSD jusqu’au prochain système. Sans un mot, nous parcourons cette dimension étrange et turbulente où l’espace et le temps se confondent, avant d’arriver auprès d’une étoile double autour desquelles orbite une géante gazeuse de taille respectable. De terribles vents balayent depuis des millions d’années sa surface de gaz, créant une oeuvre abstraite éphémère. J’ai toujours aimé ces planètes géantes dépourvues de surface solide et au climat infernal.
-Elle n’est pas aussi belle que Jupiter, vous savez ?
Je suis étonné.
-Vous connaissez Jupiter ?
-Oui, Munfayl Labour m’a envoyé plusieurs fois en mission près de SOL. On se méprend souvent sur le travail d’un comptable, surtout quand il gère une partie non négligeable des avoirs d’un gouvernement.
-J’ignorais que votre position auprès de ce gouvernement était à ce point importante.
-Et, même en disant cela, vous sous-estimez ce qu’étaient mes fonctions, ce que j’ai vu…ce que j’ai dû…faire….
-A ce point ?
Elle ne répond pas. Ses yeux sont rivés sur la géante, de sa bouche sortent des mots, comme un flot incontrôlé.
“Et dans la mort ne pas craindre le vide,
Mais s’asseoir pour contempler sa beauté.
Dans un silence serein regarder cette planète placide,
Car autour d’elle mon âme reste liée, pour l’éternité.”
Curieusement, ce sont mes mains que je regarde. Frappé par ces mots je n’ose pas regarder cette personne étonnamment riche et complexe assise à côté de moi. Elle a le son de la déchirure et de la peine. Il m’est impossible de l’expliquer mais il y a chez cette jeune fille une étrange complexité. Qu’avait-elle pu bien faire, ou voir, pour être à ce point recherchée et dans un même temps protégée par le Consilium ?
Cette mission n’était pas un simple transport de passager. C’était clairement autre chose. Je m’étais trompé sur le but de Mercurius, sans aucun doute.
-J’engage le dernier saut commandant.
Vesta me sort de ma torpeur, le vaisseau craque et nous laissons derrière nous la géante capricieuse et ses deux étoiles jaunes.
La station nous a ordonné de nous poser sur le seul PAD disponible. Machinalement j’enchaîne les manœuvres jouant avec l’inertie monumentale du vaisseau. Il n’a rien d’un chasseur, il aime se laisser bercer doucement et résiste dès que je décide de serrer un virage. Il veut m’imposer son rythme, mais il me connait encore mal. Peu à peu, j’arrive à dompter ce pachyderme, un jour peut-être en ferais-je un étalon ?
Au sol les équipes s’affairent. Les passagers ont quitté le bord et Myriam Tahani, m’adresse un dernier regard avant de prendre ses quelques affaires et se diriger vers le sas de la passerelle. Juste avant de sortir elle se détourne doucement.
-Merci Commandant. Grâce à vous et vos employeurs, je vais commencer ma nouvelle vie ici. Merci pour la balade. Ne le prenez pas mal, mais j’espère ne jamais vous recroiser, ni vous, ni les hommes du Consilium. Dites-leur que nous sommes quitte voulez-vous ?
Je ne comprend pas un mot de ce qu’elle raconte !
Elle sort du vaisseau et rejoint deux hommes robustes qui, visiblement, l’attendaient. Au revoir, mademoiselle Tahani, j’espère que votre destin sera moins sombre que votre passé !
Quelques minutes plus tard mon nouvel itinéraire est calculé, je retourne à Munfayl. Vesta égraine les check-lists, il y bien longtemps que je ne les écoute plus.
Sans raison, je tourne la tête vers le hangar des passagers en contrebas, à bâbord. Il est vide à l’exception des deux hommes entourant Myriam Tahani. L’un d’eux porte ses bagages, l’autre traîne le pas. Cet homme, de la taille d’une armoire à glace, ralenti. Puis, comme une machine, sort une arme et fait feu.
La tête de Tahani éclate et son corps tombe, comme au ralenti, sur le sol brillant. Les hommes, calmement, poursuivent leur chemin, laissant derrière eux le corps sans vie de la jeune femme.
L’évidence me sourit, son rictus est celui de la machination, son haleine sent la mort.
-Non !
-Commandant ?
-Ils l’ont tué ! Ils….
“Et dans la mort ne pas craindre le vide,”
Les mots se perdent.
Il ne voulaient pas que je la sauve….
“Mais s’asseoir pour contempler sa beauté.”
Ils voulaient que…je la livre !
“Dans un silence serein regarder cette planète placide”
Sans m’en rendre compte, Vesta fait décoller le vaisseau qui se dirige vers l’espace en glissant doucement. J’essaye de retrouver des yeux le corps de ma passagère baignant dans son sang, en vain.
“Car autour d’elle mon âme reste liée, pour l’éternité.”
Je suis leur instrument. Je l’ai choisi.
Si seulement, l’éducation nous inciterait à lire ce genre de récit, la lecture ne serrait plus une corvée pour certains^^
Merci beaucoup 🙂
Cette petite histoire a une “suite” disponible : http://wing-atlantis.fr/category/sorek/
Quelle belle plume…!
J’ai hâte de decouvrir les nouvelles aventures de cette odyssée.
Puissent-elles se rependre a travers l’immensité de l’espace