Passagère Myriam Tahani – Chapitre 1
Elle avait rapidement quitté sa cabine pour me rejoindre sur la vaste passerelle. Malgré les réserves de Vesta je l’avais laissé entrer. Les autres passagers, 3 hommes et 2 femmes, étaient confortablement installés à l’avant de l’anaconda, scotchés à l’immense verrière, afin de ne rien perdre de leur périple. Ils avaient économisé pendant des mois pour s’offrir une sortie dans l’espace. Ils avaient décidé de ne pas en perdre une miette, rêvant depuis des années d’un voyage les extirpant quelques heures de Munfayl et de leur vie bien rangée. Il y avait, pour un pilote comme moi, quelque chose d’absurde dans cette excitation. Et pourtant je les enviais. Ils allaient voir et ressentir des choses qui, depuis longtemps pour moi, étaient devenues d’une cruelle banalité. La nature de l’homme, peut-être son intelligence, le pousse à fuir la répétition, le connu, la routine. C’est un instinct rare et pervers dans lequel se nichent peut-être les racines de l’envie et de la jalousie.
-Nous décollons bientôt ?
Je n’ai pas l’habitude d’être accompagné, en dehors de Vesta, bien entendu. Elle a une voix assez douce et le regard d’une personne dont l’intelligence et une arme redoutable.
-Non, quelques tests encore, et on décolle. Rassurez-vous, personne en dehors de moi et du Consilium n’est au courant de votre présence à bord. C’est l’un des avantages qu’on a de voyager en ma compagnie. Personne n’ose poser de questions !
-A la bonne heure ! Combien de sauts avons-nous ?
-Nous pourrions en faire 2, mais je ne veux pas aller à notre destination directement. Je vais donc rallonger un peu le voyage. Nous avons une étoile à neutron sur la route, ça devrait ravir nos hôtes, là, en bas. Mais rassurez-vous, vous ne raterez rien du spectacle si vous restez sur la passerelle….à la condition de ne rien toucher.
-Commandant, souhaitez-vous que je désactive toutes les fonctions du siège gauche ?
-Non Vesta, ça ira, je doute que notre passagère « clandestine » sache manier une triplette de multi-canons.
-Bien commandant. La route est calculée. Nous pouvons décoller. Je demande l’autorisation à la tour.
-OK. « A tous les passagers, armez les magnets de vos combinaisons, nous partons. »
L’énorme engin s’élève doucement. Les vibrations sont fortes et, dans le regard de Mlle Tahani je remarque un affolement presque imperceptible. Ce vol doit la changer de ses tableurs ! Elle n’est pas particulièrement jolie, mais possède un certain charme. Ses mains serrent les accoudoirs lorsque j’enclenche, un peu brusquement pour ménager mon petit effet, les propulseurs principaux.
-Vélocité conforme commandant, tous les systèmes sont opérationnels, vous êtes N°1 pour la sortie de Samson.
Vesta termine sa phrase au moment où le contrôle spatial, en écho, confirme que je peux sortir de l’immense station en perpétuelle rotation.
L’anaconda file dans l’axe de la boite aux lettres. Je tourne la tête et regarde les volutes noires d’encre dessiner des formes abstraites autour de la lumière flamboyante de la voie lactée. De son regard borne la planète More glisse à tribord et disparait pour ne laisser qu’une toile sombre mouchetée de milliards de petites pointes lumineuses variant du rouge profond au bleu glacial.
Elle regarde, elle aussi, ce spectacle ancestral sans rien dire. C’est une bonne chose, elle sait garder le silence dans des moments comme celui-ci.
Finalement, ce voyage ne sera peut-être pas la corvée annoncée.
Doucement, bien plus qu’à mon habitude, comme pour ne pas réveiller le doux sommeil d’un être cher, je pousse les moteurs FSD. Les vibrations parcourent la lourde coque depuis ses entrailles. Le moteur d’hypersaut se charge. A mesure, je sens remonter le long de mon échine le réveil de la bête. Je fais corps avec mon vaisseau. Je le sens me parler. En cet instant, si fugace, je ne veux être nulle part ailleurs. Ceci est ma place, au milieu de ce vide. Mais cette fois, je ne suis pas seul.
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Activation….
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